Desproges


La psychanalyse
Les hommes sont égaux
Les jeunes




La psychanalyse (Chronique de la haine ordinaire - 28 mars 1986)

Depuis pas loin d'un siècle qu'une baderne autrichienne obsédée s'est mise en tête qu'Oedipe voulait sauter sa mère, la psychanalyse a connu sous nos climats le même engouement que les bains de mer ou le pari mutuel urbain.

On a beau savoir pertinemment que la méthode d'investigation psychomerdique élucubrée par le pauvre Sigmund n'est pas plus une science exacte que la méthode du professeur Comédon pour perdre trente kilos par semaine tout en mangeant du cassoulet, ça ne fait rien, la psychanalyse, c'est comme la gauche ou la jupe à mi-cuisse, c'est ce qui se fait maintenant chez les gens de goût.

Ce scepticisme à l'égard de la psychanalyse, mais aussi de la psychologie et de la psychiatrie qui s'y réfèrent de plus en plus, me vient, selon mes docteurs, des données de base primaires d'un caractère brutal et non émotif qui me pousse à manger le pilon du poulet avec les doigts ou à chanter l'ouverture de Tannhâuser dans les moments orgasmiques.

Voici une histoire vécue, où le prestige des psy en prend plein le subconscient. Ma copine Betty Sartou, mère de famille à ses moments pas perdus pour tout le monde, a connu le malheur d'accoucher d'une espèce de surdoué qui s'appelle Grégoire, comme les moins cons des papes, mais c'est une coïncidence. A cinq ans et demi, ce monstre donnait des signes alarmants d'anormalité. Notamment, il préférait Haendel à Chantal Goya, il émettait des réserves sur la politique extérieure du Guatemala et, surtout, il savait lire malgré les techniques de pointe en vigueur à l'Éducation nationale.

Devant ce désastre, la maman et la maîtresse d'école estimèrent d'un commun accord que Grégoire était un mauvais exemple pour ses collègues de la maternelle, et qu'il serait bienséant de le jeter prématurément dans le cours préparatoire. Oui, mais à condition, dit l'Éducation nationale, que Grégoire subisse de la part d'un psychologue, par nous choisi, les tests en vigueur en pareille occasion. Au jour dit, mon amie Betty et son super minus se présentent au cabinet du psy, en l'occurrence une jeunesse binoclée de type " Touche pas à mon diplôme ". On prie la maman de rester dans la salle d'attente. Vingt-cinq minutes plus tard, la psychologue dont le front bouillonnant se barre d'un pli soucieux libère le gamin et accueille la mère.

- Votre fils Grégoire peut sauter une classe. Il en a la maturité. Il a parfaitement réussi les tests de latéralisation (en gros, cela signifie que si on lui présente une cuillère, il aura tendance à l'attraper plutôt avec sa main droite qu'avec son pied gauche). Malheureusement, je ne vous cacherai pas qu'il semble souffrir de troubles affectifs probablement dus à... un mauvais climat familial. Voyez le dessin qu'il vient de réaliser. Je lui avais demandé de dessiner papa et maman. C'est assez clair, non ?

L'enfant avait dessiné un père gigantesque, dont la silhouette occupait toute la hauteur de la page, alors que la mère lui arrivait à peine au plexus.
- Pour moi, c'est clair, soupira la psy. Cet enfant marque une tendance à la sublimation de l'image du père, tendance subconsciemment contrecarrée par une minimisation anormale de l'image et donc du rôle de la mère dans le contexte familial. Je ne vois malheureusement pas d'autre explication.
- Moi, j'en vois une, dit Betty. Mon mari mesure un mètre quatre-vingt-treize et moi un mètre quarante-sept.





Les hommes naissent tous libres et égaux en droits (Dans "Vivons heureux en attendant la mort")

Qu'on me pardonne, mais c'est une phrase que j'ai beaucoup de mal à dire sans rire :
Les hommes naissent tous libres et égaux en droits.

Prenons une star, une belle star. Elle est belle.
La beauté.
Existe-t-il au monde un privilège plus totalement exorbitant que la beauté ?

Par sa beauté, cette femme n'est-elle pas un petit peu plus libre et un petit peu plus égale, dans le grand combat pour survivre, que la moyenne des Homo sapiens, qui passent leur vie à se courir après la queue en attendant la mort ?

Quel profond imbécile aurait l'outrecuidance de soutenir, au nom des grands principes révolutionnaires, que l'immonde boudin trapu qui m'a collé une contredanse tout à l'heure possède les mêmes armes pour asseoir son bonheur terrestre que cette grande fille féline aux mille charmes troubles où l'oeil se pose et chancelle avec une bienveillante lubricité contenue ?

Quand on a vos yeux, madame, quand on a votre bouche, votre grain de peau, la légèreté diaphane de votre démarche et la longueur émouvante de vos cuisses, c'est une banalité de dire qu'on peut facilement traverser l'existence à l'abri des cabas trop lourds gorgés de poireaux, à l'écart de l'uniforme de contractuelle et bien loin de la banquette en skaï du coin du fond de la salle de bal où le triste laideron, l'acné dans l'ombre, cachant dans sa main grise le bout de son nez trop fort, transi dans sa semi-laideur commune, embourbé dans sa cellulite ordinaire et engoncé dans ses complexes d'infériorité, ne sait que répondre au valseur qui l'invite :
- Je ne peux pas, j'ai le peintre.

Et encore.
Le boudin con ne souffre pas.
Mais il y a le boudin pas con.
Le boudin avec une sensibilité suraigüe.
Le boudin qui est beau du dedans.
Le boudin qui a dans sa tête et qui porte en son coeur sa beauté prisonnière, comme, dans la chanson, ces gens du Nord qui ont dans les yeux le bleu qui manque à leur décor.

Pourtant, Dieu m'émoustille (merci mon Dieu), la différence est mince entre une beauté et un boudin.
Quelques centimètres de plus ou de moins en long ou en large, quelques millimètres de plus ou de moins entre les deux yeux, quelques rondeurs ou aspérités en plus ou en moins par-ci par-là, autour des hanches et sous le corsage.
Des détails...

... J'espère que je ne vous choque pas, jolie madame qui me lisez. Vous auriez tort d'être choquée. D'après une étude approfondie effectuée récemment par mes soins auprès des familles du Tout-Hollywood des années 60, je suis en mesure d'affirmer aujourd'hui que même Marilyn Monroë faisait pipi.

Ainsi, il est vrai que les similitudes l'emportent sur les dissemblances entre deux être humains. L'âge lui-même n'est rien, chère star, si ce n'est que, selon toute probabilité, les asticots auront fini de picorer la guêpière de ma grand-mère quand ils entameront votre ultime robe du soir.




Les jeunes (Chronique de la haine ordinaire - 9 avril 1986)

Et vous, qu'est-ce que vous avez fait pour les jeunes ? lançait l'autre soir Jack Lang, cette frétillante endive frisée de la culture en cave, à l'intention de je ne sais plus quelle poire blette de la nouvelle sénilité parlementaire.

"Qu'est-ce que vous avez fait pour les jeunes ?"

Depuis trente ans, la jeunesse, c'est à dire la frange la plus totalement parasitaire de la population, bénéficie sous nos climats d'une dévotion frileuse qui confine à la bigoterie.
Malheur à celui qui n'a rien fait pour les jeunes, c'est le péché suprême, et la marque satanique de la pédophobie est sur lui.
Au fil des décennies, le mot "jeunes" s'est imposé comme le sésame qui ouvre les voies de la bonne conscience universelle.
Le mot vieux fait honte, au point que les cuistres humanistes qui portent la bonne parole dans les ministères l'ont remplacé par le ridicule personne âgée, comme si ces empaffés de cabinet avaient le mépris des rides de leurs père et mère.
Mais les jeunes ne sont pas devenus des personnes non âgées. Les jeunes sont les jeunes. Ah, le joli mot.

Vous n'avez rien contre les jeunes ?. Version à peine édulcorée du répugnant : T'as pas cent balles ?, c'est la phrase clé que vous balancent de molles gouapes en queue de puberté, pour tenter de vous escroquer d'une revue bidon entièrement peinte avec les genoux par des jeunes infirmes. (Je veux dire handicapés. Que les bancals m'excusent.)

- Pardon monsieur, vous n'avez rien contre les jeunes ?
- Si. J'ai. Et ce n'est pas nouveau. Je n'ai jamais aimé les jeunes. Quand j'étais petit, à la maternelle, les jeunes, c'étaient des vieux poilus, avec des voix graves et des grandes mains sales sans courage pour nous casser la gueule en douce à la récré.
Aujourd'hui, à l'âge mûr, les jeunes me sont encore plus odieux. Leurs bubons d'acné me dégoûtent comme jamais.
Leurs chambres puent le pied confiné et l'incontinence pollueuse de leurs petites détresses orgasmiques. Et quand ils baisent bruyamment, c'est à côté des trous.
Leur servilité sans faille aux consternantes musiques mort-nées que leur imposent les marchands de vinyle n'a d'égale que leur soumission béate au port des plus grotesques uniformes auquel les soumettent les maquignons de la fripe.
Il faut remonter à l'Allemagne des années 30, pour retrouver chez des boutonneux un tel engouement collectif pour la veste à brandebourgs et le rythme des grosses caisses.

Et comment ne pas claquer ces têtes à claques devant l'irréelle sérénité de la nullité intello-culturelle qui les nimbe ?
Et s'ils n'étaient que nuls, incultes et creux, par la grâce d'un quart de siècle de crétinisme marxiste scolaire, renforcé par autant de diarrhéique démission parentale, passe encore. Mais le pire est qu'ils sont fiers de leur obscurantisme, ces minables.
Ils sont fiers d'être cons.
Jean Jaurès ? C'est une rue, quoi, me disait récemment l'étron bachelier d'une voisine, laquelle et son mari, par parenthèse, acceptent de coucher par terre chez eux les soirs où leur crétin souhaite trombiner sa copine de caleçon dans le lit conjugal.
Ceci expliquant cela : il n'y a qu'un ah de résignation entre défection et défécation.
J'entends déjà les commentaires de l'adolescentophilie de bonne mise :
Tu dis ça parce que t'es en colère. En réalité, ta propre jeunesse est morte, et tu jalouses la leur, qui vit, qui vibre et qui a les abdominaux plats, 'la peau lisse et même élastique', selon Alain Schifres, jeunologue surdoué du Nouvel Observateur.

Je m'insurge.
J'affirme que je haïssais plus encore la jeunesse quand j'étais jeune moi-même. J'ai plus vomi la période yéyé analphabète de mes vingt ans que je ne conchie vos années lamentables de rock abâtardi.

La jeunesse, toutes les jeunesses, sont le temps kafkaïen où la larve humiliée, couchée sur le dos, n'a pas plus de raison de ramener sa fraise que de chances de se remettre toute seule sur ses pattes.

L'humanité est un cafard. La jeunesse est son ver blanc.
Autant que la vôtre, je renie la mienne, depuis que je l'ai vu s'échouer dans la bouffonnerie soixante-huitarde où de crapoteux universitaires grisonnants, au péril de leur prostate, grimpaient sur des estrades à théâtreux pour singer les pitreries maoïstes de leurs élèves, dont les plus impétueux sont maintenant chef de choucroute à Carrefour.

Mais vous, jeunes frais du jour, qui ne rêvez plus que de fric, de carrière et de retraite anticipée, reconnaissez au moins à ces pisseux d'hier le mérite d'avoir eu la générosité de croire à des lendemains cheguevaresques sur d'irrésistibles chevaux sauvages.